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"Cent" blog fixe
2 novembre 2014

Les pêcheurs de lune (2)

[ Résumé de l’histoire : il y a bien longtemps, nos amis les Noviangetumnois s’étaient mis en tête d’attraper un morceau de lune pour avoir de la lumière les nuits où elle s’avisait de disparaître sans avertissement. Un soir, ils en surprennent un bout dans la mare du forgeron et décident de le repêcher …]

 

On alla quérir un grand seau qu’on attacha à une corde, et hop ! le plus âgé et le plus jeune du village le lancèrent au milieu de la mare où il atterrit avec un grand plouf. On hala le seau. Hélas ! Il était vide ! Rien qu’un peu d’eau boueuse qui n’éclairait rien du tout…

Tandis que tout le monde se penchait au dessus du récipient pour mieux voir et se lamenter, la surface de l’Oise reprit sa tranquillité et la bouture de lune se remit à luire dans toute sa splendeur. On recommença l’opération, mais en vain. La lune semblait narguer ses adversaires. Ce fut à chaque fois un beau concert de lamentations, de regrets, de remue-ménage, auxquels répondirent bientôt les grognements des cochons dans l’enclos du forgeron, que le bruit avait réveillés...

- Ils ont l'air d'avoir faim tes porcs, tu ne les nourris donc jamais?

- Si je les nourris ? Ils mangent mieux que toi, par Toutatis ! La lune est dans ma mare et je te prie de me parler sur un autre ton!!

- Alors pourquoi crient-ils ?

- Mes cochons crient parce qu’ils ont l’habitude de manger quand ils ne dorment pas. Ils mangent ou ils dorment, voilà ce qu’ils font mes cochons !

- Alors va les nourrir ! Leurs cris nous empêchent de nous concentrer et la lune doit être pêchée avant le jour !

La forgeronne en haussant les épaules retourna à sa cabane chercher un sac de son. Mais au lieu de se diriger vers l’enclos, elle revint vers la mare en s’écriant :

- Je crois que j’ai une idée ! Par Lug, vous avez sacrément de la chance de m’avoir dans le village !

Et la voilà qui répand le son à toute volée sur la surface de l’eau aussi loin qu’elle peut.

- Va à l’enclos, dit-elle à son mari, et ramène-moi une grosse truie ! La plus grosse !!

- La plus grosse ? Pourquoi faire, ô ma femme ?

- J’ai dit la plus grosse parce qu’il me faut la plus grosse ! Réfléchis, homme de peu de cervelle, il me faut celle qui a le plus gros estomac ! Ah ! Tu peux te réjouir de m’avoir pour femme car tu vas voir ce que tu vas voir !

Le forgeron ramena une truie avec un ventre comme une barrique. La femme défit la corde du seau et l’attacha, bien serrée par un bout, à la queue de la bête.

- Aidez-moi à la pousser vers la mare, ordonna-t-elle à la foule subjuguée. Et mettez-lui le nez dedans !

La surface de l’eau sentait le son. La truie, alléchée, se mit à patauger tant et tant, et elle se régalait, elle se régalait …

- Elle mange ! elle mange ! Ça y est !! Elle l’a avalée !

En effet, dans l’eau brouillée, l’image de la lune avait complètement disparu. Si vous aviez vu les gens se congratuler et laisser exploser leur joie ! Seule la forgeronne gardait la tête froide.

- Maintenant, ordonna-t-elle, que les hommes les plus forts tirent sur la corde pour ramener la cochonne.

On tira, on tira. Han ! han ! La truie, le groin dans la vase, poussait des hurlements désespérés et se débattait, se débattait.. Dans la fange liquide qu’était devenue la mare, plus trace de lune… À vrai dire, plus trace d’eau non plus …

- La gourmande n’en a pas laissé un seul morceau !

Chacun, extasié malgré l’aspect rebutant de la bête, voulait toucher ce boueux instrument du miracle.

- Mais comment va-t-on récupérer la lune maintenant ?

La forgeronne toisa l’impudent :

- Comment, on ?? C’est moi qui vais récupérer la lune qui était dans ma mare et que ma truie a avalé ! Je ne veux plus personne autour de moi ! Allez, ouste !

La superbe rentra chez elle avec sa truie et mit tout le monde à la porte. Elle ordonna à son mari d’aiguiser un grand couteau et d’apporter du bois pour relancer le feu, car on n’y voyait goutte.

- Je devais la sacrifier la semaine prochaine, ça tombe bien. Aide-moi, mon homme ! Nous appellerons les autres quand nous aurons terminé.

Devant la cabane close, la foule navrée attendait en retenant son souffle.

On entendit des cris perçants.

- C’est la truie qu’on égorge ! expliqua celui qui avait collé son oreille à la porte.

Puis des éclats de voix.

- La forgeronne dit qu’il faut ouvrir l’estomac. Le forgeron proteste qu’il est fatigué. La forgeronne le traite de paresseux.

Un silence.

- Ils ouvrent l’estomac.

Des bruits sourds.

- Ils le mettent dans un plat.

Un silence.

- …

Un long silence.

- …

Un bruit de claques.

- Le forgeron gifle sa femme.

Un gros boum.

- La forgeronne casse un pot sur la tête de son mari.

Un très gros boum.

- C’est le plat qui tombe.

Un silence. Un grésillement. Un très long silence. Une exclamation. Un éclat de rire. Des bruits non identifiés.

- Ils cherchent quelque chose.

La porte s’entrouvrit. La forgeronne parut, un couteau à la main.

- Allez me chercher un fuseau avec un très long fil de laine !

On alla chercher le fuseau. La porte se referma.

- Par Bélénos, elle va pendre son mari !

- Ou lui couper la tête !

La porte s’entrouvrit de nouveau. Le forgeron parut.

- Ouf ! Il vit encore !

- Que chacun apporte un petit pot en terre !

Chacun alla chercher un petit pot. La porte se referma.

- Et la lune ? Où est la lune ?

- La lu-mière !! La lu-mière !!!!

Enfin, la porte s’ouvrit toute grande sur la hutte illuminée. Miracle !

- Elle est là la lumière, imbéciles !

Devant le foyer, bien alignés, les petits pots abritaient une flamme vive. Pas un coin de la cabane n’était restée dans l’ombre. Jamais, même en plein jour, on n’avait si bien vu à l’intérieur d’une maison dont la porte étroite et les fenêtres minuscules laissaient entrer plus de froid que de soleil…

Solennellement, la forgeronne remit à chacun son lumignon.

- Voici, dit-elle, la lumière que nous avons trouvée.

Quand on se fut bien réjoui et qu’on eut bien félicité la futée, quelqu’un osa demander :

- Mais comment avez-vous donc fait ? Et pourquoi le fuseau de laine et le couteau ?

- Le couteau, expliqua la forgeronne, c’était pour couper la laine en petits morceaux. Chaque morceau trempe dans la graisse de chaque petit pot.

- Mais la lune ? la lune que la truie a avalée ?

- Ce que vous êtes bêtes ! dit la forgeronne. Quand nous avons ouvert la truie nous n’avons rien trouvé !

- Alors j’ai giflé ma femme.

- Alors j’ai giflé mon mari.

- Alors j’ai re-giflé ma femme, et son fuseau de laine est tombé dans la bassine de lard, la bassine est tombée dans le feu, le feu a pris à la laine imprégnée de graisse et cela s’est mis à brûler lentement et à donner une lumière douce comme celle de la lune…

- Alors nous avons fait fondre toute la graisse que nous avons mis dans chacun de vos pots avec une mèche de laine, et par une branche enflammée nous les avons tous allumés. Voilà. Maintenant grâce à ces petits pots de lumière nous n’avons plus besoin d’attraper la lune. Ah lala, vous pouvez bien tous nous remercier…

 cochon

 

En vérité, la truie avait-elle avalé la lune ? Nul ne saurait le dire. L’important n’était-il pas d’avoir trouvé la lumière ? Plus jamais on ne la perdit, et plus jamais on n’eut besoin de jeter des porcs dans la rivière.

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Commentaires
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Éléna, pour faire un ♥ il faut presser la touche ALT en mm temps que le 3 du pavé numérique (on dit souvent "Mieux vaut tard que jamais", j'aime bien ce proverbe ;-) )<br /> <br /> Bisous ♥
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E
A peine avais-je relu la première partie que j'avais déjà envie de rire en écho à d'autres petites histoires dans lequel l'instinct meurtrier est mise à jour. Ici, je ne sais de quel instinct il s'agit...En admettant que naissent et circulent les chimères comme dans cette volonté d'attraper un morceau de lune, partir d'un rouleau de papier où de l'oralité, l'esprit fonctionne toujours à peu près de la même manière. Il ne comprend pas son monde et le monde ne le comprend plus, alors il se tue de l'intérieur tant que la réponse adéquate au mensonge ne surgit pas du corps du cochon lui même. En attendant, la perversion fait bon ménage, comme toujours, récupérer ce qui peut l'être à ses propres fins et tromper son monde quitte à justifier le crime. <br /> <br /> <br /> <br /> Merci, très instructif, enfin il me semble bien que la fin du récit n'est pas particulièrement éclairante...pas étonnant qu'après ça l'on vit fleurir des cierges dans les remises et les cochons dormir en paix ? <br /> <br /> <br /> <br /> rebisou
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