Avant qu'elle parte
Il y a une chanson que mon fils écoutait il y a quelques années et que j'aimais beaucoup, il s’agit d' "Avant qu’elle parte".
Avant qu’elle parte, dis à ta mère que tu l’aimes.
Dis à ta mère que tu l’aimes. C’est quelque chose que je n’ai pas fait assez, ou plutôt que j'ai fait, mais mal.
Je pense à elle, je la revois sur son lit d’hôpital, je me rappelle le moment où ma sœur était sortie de la chambre pour aller boire un café et que j’étais restée près d’elle en lui serrant la main, cette main qu’elle avait si petite et si fine. Aujourd’hui, quand je pense à elle, je vois ses mains de petite fille. Et surtout, je vois son chagrin. Celui d’avoir eu un fils qui n’était pas le fils qu’elle avait tant espéré. Ça l'a minée de l’intérieur, lentement, occultant tout le reste. Je commence à avoir une idée infime de ce qu’elle a pu ressentir tout au long de sa vie. Elle avec son idéal avorté de Fils Parfait. Ce Fils tant attendu tant adoré qu’elle n’a jamais eu, en réalité. Elle qui si souvent avait des "contractions de l’oephage" comme elle disait, elle contractait même le mot. Elle et ses sensations d’étouffement, l’air ne passait plus, elle allait le chercher Dieu sait où, et rien. Tout restait en dedans, toujours. Elle lâchait rien ma mère, purée, elle lâchait rien !!! Mais à ce moment-là, je ne pensais pas à ça. Je voulais seulement qu'elle m'aime, je voulais seulement qu’elle me parle. Je ne voyais pas sa souffrance, je ne voyais pas sa détresse. Je ne voyais que les mots qu’elle ne me disait pas. Et je lui en voulais.
Maman est tombée dans le coma le jour de naissance de sa propre mère. Elle est morte deux jours après. Et je n'avais pas réussi à lui demander pardon.
Et puis il y a eu les lettres. Les lettres qu’elle a écrites à mon père lorsque, comme tant de tout jeunes hommes, il est parti en Algérie. A ce moment-là, Maman était enceinte de ma sœur.
Et c’est seulement là, au milieu des mots qu'elle égrenait pour lui, que j’ai senti sa peur, la terreur ronde qu'elle avait que l'histoire se répète, qu'elle aussi comme sa mère et sa grand-mère perde l’homme qu’elle aimait et se retrouve seule avec ses filles. Cette peur de perdre ne l'a jamais quittée.
Je ne savais pas maman. Je ne savais pas cette peur qui t'a hantée. Je t'en ai tellement voulu! Je te voyais toujours comme la jeune maman que tu avais été, je ne te voyais pas comme la femme fragile que tu étais devenue. Mais aussi, nous étions tellement fermées... Toi sur ces choses que tu ne disais pas, moi sur ces choses que je disais trop.
On ne sait jamais rien des choses, on ne sait jamais rien de rien, et c'est ce que ta mort m'a appris.