Éparpillé
Il y a des moments où mon fils me manque, un truc de fou. Ça me tombe dessus comme ça, sans prévenir.. Comme ça.
Il faut dire, à ma décharge, qu’on est passé d’une relation très fusionnelle à une brisure nette et précise, paf ! Du tout au rien, une grande spécialité familiale. Éparpillé mon petit cœur, comme – c’est un hasard, c’est sûr – les petits coeurs semés par terre le jour où il est parti.
C’est bizarre, je l’ai senti. Je l’ai senti tout de suite que cette fois, c’était la bonne. Ne me demandez pas pourquoi, mais vous savez, il y a des choses que l’on ressent et puis voilà. Sous des couverts de "je pars quelques jours", je savais qu’il ne rentrerait pas, qu’il allait vers son destin, à un gros paquet de kilomètres de chez moi. J’avais des sanglots bloqués, de mes yeux jusqu’au plexus solaire. Dès la porte de chez Elle refermée sur lui, mes vannes ont lâché. Je me suis mise à pleurer, je me suis mise à pleurer toutes les larmes que je retenais depuis des jours, je me suis mise à pleurer tous les câlins qu’on ne se ferait plus, toutes les conversations qu’on ne se dirait plus, toutes les taquineries qu’on ne partagerait plus dans des grandes crises de fou-rire. Car mon fils, c’était ça aussi : grand pourvoyeur de rire devant l’Éternel. Et d’un seul coup, ses bras autour de moi, ses bras de fils mais des bras d’homme, quand même - ses bras disais-je, m’ont manqué dans un mal lancinant.
Alors j’ai pleuré puisqu’il ne me voyait pas, j’ai pleuré puisqu’il n’en saurait rien, j’ai pleuré et je pleurais tellement que j’avais la sensation que jamais, jamais je n’allais pouvoir m’arrêter. Je me suis vidée, vidée de tout, vidée de lui. Ça a duré un jour. Ou un mois. Ou une éternité.
Parce que mon fils vous savez, il est tellement, tellement différent de moi. Tellement attachant, mais tellement détaché. C’est en tout cas ce qu’il fait croire, et ma foi, il faut bien faire avec ! Ou plutôt sans. Sans les mots, sans les gestes, sans toutes ces petites choses qui disent je t’aime et qui font tant de chaud au coeur. Table rase est sa devise. Que ressent-il ? Est-il amoureux? A-t-il du chagrin? Vous ne le saurez jamais.
Or donc, mon petit garçon est devenu un homme, c’est officiel. Et dans mon cœur vrillé par le manque de lui, me vient un autre manque, plus sourd, plus dur : celui de mes petits-enfants.
Comment ma fille peut-elle survivre à ça ?