Au commencement était Agnès de M***, noble dame née aux alentours de l’an de grâce 1068, à une époque où on ne retenait que le nom des grands de ce monde. Fallait-il qu’elle soit grande, cette dame, pour qu’ainsi l’on ait gardé son nom, en des temps où les femmes, croyait-on, n’avait pas d’âme. On les violait, on les battait, on les tuait, bref, l’époque n’était pas à la galanterie.
Agnès donc était une grande dame qui vivait en son château de M***.
De dame Agnès nous savons – mais nous ne savons que cela – qu’elle était l’aïeule de Gautier de M***, à moins que ce ne fut Wa(u)tier de M***, puisque c’est ainsi qu’il est cité au moment de ses noces en 1145 (on ne sait pas avec qui, jusqu’au XIVe siècle on prenait rarement la peine de mentionner le nom des femmes).
Ce que nous savons par contre, c’est que Wautier était le père du célèbre Eustache de M*** qui périt à Bouvines en 1214 lors de la bataille du même nom où il s’était illustré en "bondissant tel un lion rugissant" de toute sa colossale stature, ce qui lui a valu de traverser les siècles avec le surnom d’Eustache le Géant.
D’Eustache en Oberti, d’Oberti en Tassart, de Tassart en Baudouin, … nous arrivons à Godefroy, le frère d’un de mes ancêtres qui tous étaient très prudemment catholiques, sauf précisément Godefroy. Oui, parce que figurez-vous que Godefroy, ainsi qu’un autre de ses frères, avaient adopté la religion réformée à une époque où ce n’était pas franchement à la mode. Si peu à la mode qu’ils avaient dû se débiner vite fait avec toute leur famille en Hollande ou en Angleterre où on retrouve encore aujourd’hui leurs descendants avec ce nom parfaitement français. Enfin, aussi Français que peut l’être un nom qui ne l’était pas à l’époque.
Il est temps je crois de faire un petit aparté. D’abord pour vous rappeler qu'en ces temps anciens, la religion faisait partie intégrante de la vie des gens. Si on ne prend pas ce critère en considération, on ne peut rien comprendre à l’Histoire. Inutile de préciser que si nos aïeux pouvaient revenir aujourd’hui comme dans le film des Visiteurs – enfin, dans l’autre sens - ils fuiraient tous en hurlant, persuadés qu’ils sont arrivés direct en Enfer.
Pour une meilleure compréhension du problème religieux, permettez-moi de tirer à grands traits le visage des deux religions concurrentes en cette période de la Renaissance [La Renaissance: explosion artistique, d'accord. Mais aussi : guerres de religions, chasse aux sorcières (cent mille morts), génocide amérindien (deux cent millions de morts) ... Qu'on ait donné le nom de Renaissance à un tel salmigondis peut laisser perplexe!].
Or donc :
Le catholicisme d’abord. Il est sévère. Quelqu’un qui a péché est condamné à passer un bout de temps au purgatoire. Les pécheurs y sont plongés dans le feu jusqu’à purification totale. Ça n’a pas l’air d’une partie de plaisir.
Un catholique ne lit pas la Bible. Il ne s’adresse pas directement à Dieu. Il s’adresse à son intermédiaire, le curé, qui consulte une bible en latin. Ensuite, le curé explique à son pénitent ce que Dieu désire. En général, Dieu désire des messes ; enfin, plus précisément, des sous pour dire des messes.
Mais le catholicisme est tendre. Quelqu’un qui a péché peut racheter ses fautes, il lui suffit de les regretter sincèrement et Dieu lui pardonnera. Pour obtenir l’indulgence de Dieu tout est bon : pèlerinages, croisades, prières. S’exclamer "Cœur agonisant de Jésus, soyez mon amour !" économise cent jours de purgatoire. Crier "St Joseph, patron de la bonne mort, priez pour nous !" en gagne trois cents. Il n’y a pas à hésiter, et c’est gratuit.
Les dons en argent pour faire dire des messes ou faire construire des églises permettent aussi d’acheter l’indulgence de Dieu. De là à vendre le paradis contre de bons écus, il n’y a qu’un pas que certains seigneurs franchissent vite : ils se paient le paradis en échange de cinquante mille messes …
Un jour, un certain Luther explique tout le mal qu’il pense des indulgences et dans son élan invente une nouvelle religion. Essayons de la résumer.
Un Protestant s’adresse directement à Dieu. Il lit lui-même la Bible, traduite dans sa propre langue. Il existe bien un curé protestant (le pasteur), mais il n’a pas le prestige du curé catholique. Et puis il peut se marier et avoir une vie normale, ce qui évite bien des bizarreries.
S’il se conduit mal, un Catholique peut obtenir le pardon de Dieu pour peu qu’il y mette de la bonne volonté (et quelques économies). Pas le Protestant. Car un Protestant ne se conduit pas de façon vertueuse pour faire plaisir à Dieu. Non. Le Protestant se conduit de façon vertueuse car Dieu est entré dans son cœur et Il n’en est plus sorti. Un Protestant peut donc avoir une jeunesse olé-olé : c’est signe que Dieu ne lui a pas encore rendu visite. Mais le jour où Dieu pénètre dans son cœur, le Protestant se range et ne se dérange plus. Vit-on jamais Dieu forniquer en fumant de drôles de cigarettes qui font rire ? autant dire qu’un Protestant a intérêt à profiter de sa jeunesse !
En résumé, le catholicisme est plus facile à vivre que le protestantisme. Mais il coûte plus cher …